Voici quatre ans que je suis arrivé à Glasgow, en Écosse. D’abord à temps partiel, je m’y suis installé plus durablement lorsque l’on m’a proposé de remplacer un professeur de harpe celtique dans des écoles de la ville. Engagé dans un premier temps pour quelques mois, mon contrat a ensuite été prolongé jusqu’au début de cette année où je suis passé permanent à temps partiel. Cette expérience professionnelle m’a permis de découvrir un enseignement musical très différent de celui auquel nous sommes habitués en France. Plusieurs raisons à cela dont la plus évidente tient en son système lui-même : principalement imparti aux Conservatoires et aux écoles de musique en France, l’enseignement instrumental est ici intégré dans les écoles primaires et secondaires du pays.
Réservée dans un premier temps aux élèves du secondaire, la pratique instrumentale s’est maintenant développée en primaire. Elle est optionnelle et gratuite les premières années dans la mesure où l’instrument est enseigné dans l’école. D’un établissement à l’autre, les instruments proposés peuvent varier mais on trouve généralement le piano, la guitare, les percussions (batterie, claviers), le violon, les cuivres… Sont également présents les instruments traditionnels tels que la harpe celtique1, la cornemuse, l’accordéon… ou encore le chant. Chaque semaine, à l’école publique gaélique de Glasgow2, une quarantaine d’élèves suit un cours de harpe celtique par groupe de deux ou trois pour les débutants et en cours particulier pour les plus avancés.
Une discipline valorisée
La fin de la deuxième année de secondaire marque un tournant dans le cursus des élèves. C’est en effet à ce moment-là que s’offre à eux le choix de cinq matières dans une liste (hors les matières obligatoires, mathématiques et anglais, le gaélique n’étant obligatoire que dans les écoles d’immersion). Les matières proposées sont l’histoire, la géographie, les sciences, l’économie, la religion, le sport… ou encore la musique. Comme pour les autres disciplines, la continuité dans l’apprentissage d’un instrument dépend de ce choix et seuls les élèves inscrits en musique pourront continuer, toujours de façon gratuite3. Ces élèves commencent alors l’apprentissage d’un second instrument et devront passer les épreuves du SQA4 en fin de quatrième année. Depuis que la musique a intégré le système des Standard grades sous l’égide du SQA, elle fait non seulement partie intégrante du système scolaire mais, dans cette matière, les points marqués par les élèves font jeu égal avec ceux acquis dans les autres.
L’adaptation du système scolaire
À temps plein, un enseignant travaille cinq jours par semaine soit trente-cinq heures, à raison de vingt-deux heures trente d’enseignement, le reste étant dévolu à la préparation des cours, aux rapports d’évaluation des élèves, aux réunions entre professeurs, etc. Les cours commencent à neuf heures le matin et se terminent à quinze ou seize heures selon les jours.
L’intégration de la musique dans les écoles ne s’est pas effectuée sans adaptation de l’ensemble du système. La period est l’unité d’un cours général d’une durée de cinquante minutes, qui est divisée en deux fois vingt-cinq minutes. Les élèves inscrits en musique suivent leur cours général pendant une moitié de la period et leur cours instrumental pendant l’autre moitié. Pour ne pas pénaliser ces élèves, les horaires des cours instrumentaux sont en rotation hebdomadaire ; c’est-à-dire qu’ils vont différer d’une semaine sur l’autre de telle sorte que si les élèves manquent une moitié d’un cours général, cette moitié ne sera pas la même la semaine suivante.
La répartition des élèves entre cours généraux et cours de musique a pour avantage d’alléger les effectifs des classes, ce qui assure un meilleur suivi pour les autres élèves. Quant aux élèves musiciens, d’après les études d’impact menées sur le sujet, ils ne semblent nullement affectés par le fait de devoir s’absenter pendant une moitié de cours qu’ils rattrapent aisément.
Le point positif d’un tel système est sans conteste la gratuité pour les élèves qui choisissent la musique comme sujet d’étude. La musique est une matière scolaire comme une autre et ne fait l’objet d’aucune contrainte financière pour les parents. L’apprentissage se faisant directement pendant la journée où les enfants sont scolarisés, les parents n’ont plus à les amener à l’école de musique. Les instruments, en nombre suffisant, ne sont pas seulement mis à la disposition des élèves durant les périodes réservées à la musique mais aussi durant leur temps libre. Ainsi, les parents ne sont pas contraints à investir dans un instrument. Il va sans dire que beaucoup finiront par franchir le cap et offriront un instrument à leur enfant dès lors que la motivation est bien réelle.
La présence d’élèves musiciens permet l’organisation de concerts à l’intérieur et à l'extérieur de l’école ce qui lui assure un calendrier de manifestations important tout au long de l’année. Quant aux concours de musique, les élèves y participent souvent au nom de leur école et aux couleurs de l’uniforme de leur école. Le fait que la formation instrumentale soit dispensée au sein même des écoles et non pas en école de musique permet aux enseignants d’évaluer les élèves dans un contexte beaucoup plus global.
Performant… mais menacé
À l’heure des coupes sévères dans le budget de l’État au Royaume-Uni, certains councils songent à réduire celui alloué à la musique dans les écoles, voire à le supprimer totalement. Il est difficile de savoir quel sera l’avenir d’un tel système d’autant que certains councils ne l’ont toujours pas appliqué dans leurs écoles. Rappelons que, d’après le syndicat des musiciens Musician’s Union5, l’argent investi dans les arts – la musique en particulier – rapporte le double à l’État ce qui représente une manne financière dont il aurait tort de se priver.
L’intégration d’un enseignement instrumental ouvert à tous et gratuit a pour effet la multiplication du nombre de musiciens dans le pays. De ce fait, celle-ci s’accompagne d’une demande plus importante en fabrication d’instruments, de la mise en place de manifestations musicales et d’un accroissement du niveau musical général. Il est aussi assez fréquent que les élèves inscrits en musique suivent, en plus de leur cours instrumental à l’école, des cours particuliers et même une formation plus poussée dans des académies musicales privées ou publiques.
Le système est un succès manifeste au point que la plupart des classes instrumentales affichent complet voire ont des listes d’attente. L’apprentissage d’un instrument est par ailleurs très favorablement mis en avant dans le cursus des élèves par les grandes écoles et autres Universités. Outre les retombées économiques d’un tel programme scolaire, on ne peut rester insensible au fait qu’en favorisant un accès à la musique, il tend à effacer certaines inégalités sociales. Une expérience qui mérite la réflexion.
- Harpe celtique appelée en Écosse par son nom gaélique : Clàrsach.
- Sgoil Gaelic Glaschu.
- Certaines écoles ont mis en place des cours payants pour les élèves désirant continuer sans pour autant avoir choisi la musique comme sujet d’étude.
- Scottish Qualifications Authority. Autorité nationale écossaise régissant les examens scolaires.
- The Musician, Extra, hiver 2010, lettre publiée par the Musician’s Union, Londres.